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Je suis un enfant des rues

Deux personnes s’entendent ou se sont forcées pour me mettre au monde. Je suis habité comme tout le monde par un souffle de vie animant un corps. J’ai des yeux pour regarder, des oreilles pour écouter, une bouche pour manger, un ventre qui est souvent affamé. Je suis un être comme tout être. Je n’ai pas choisi ce destin. La société le veut, l’Etat le veut, donc je suis contraint de vivre cette vie. Je connais le chaud et le froid. Je n’ai pas d’abri. Après la pluie c’est le beau temps n’existe pas pour moi. Au contraire, je n’aime pas quand il pleut. Parce que, quand il pleut, mes toiles, mes boites en cartons me servant de lit, sont donc mouillés. Je connais l’enfer après chaque pluie. Le soir, durant mon sommeil, ce sont les eaux de pluie qui me réveillent souvent, qui ont failli me transporter.

J’existe comme tout le monde, mais je ne vis pas comme tout le monde. Mon monde est différent. Chacun a des temps réservés à chaque chose. Temps pour aller à l’école, à l’église, pour le loisir, pour manger, pour le voyage. Pourtant, tout mon temps se passe à travers les rues, à fumer, à consommer de l’alcool, à essuyer les voitures pour avoir quelques sous, à quémander pour survivre, à manger dans les poubelles, à consommer des rats. Ma vie est différente. Mon avenir n’existe pas.

Si je rate le ciel, l’église est responsable. Si je vais en enfer, je ne suis pas responsable. Si je commettrai des crimes demain, l’Etat sera responsable, la société toute entière sera responsable.

Je ne suis pas éduqué pour aimer les autres, pour aimer la vie, pour respecter les biens d’autrui. Pour moi, la mort et la vie sont les mêmes. Je ne peux pas distinguer ce qui est bien de ce qui est mal. Si je ne vais pas à l’école, à l’église, la société est responsable.

Je suis orphelin. Ma famille m’abandonne. J’ai subi de mauvais traitement C’est la rue qui m’accueille. Je suis entrainé pour m’adapter. De calvaire à calvaire, de péripéties à péripéties, me voici dans un monde risqué. La justice, l’école, l’église, le loisir, le confort, le bien-être n’existent pas pour moi. Je ne suis pas compté quand l’Etat parle des enfants. Je ne suis pas compté quand l’UNICEF, Plan Haiti, Compassion, save the children, zanmi timoun… parlent des enfants. Les orphelinats, les fondations n’existent pas pour moi. Les bienfaisances, l’amour du prochain n’existent pas pour moi.

Tout le monde ferme les yeux sur moi. Sous les pluies, sous le soleil, dans la noirceur, corps nu, dans la faim, dans la maladie, je deviens un corps opaque. Ma mort les intéresse plus que mon vivant. Parce que, si je meurs, si je decompose, mon odeur puante les derangera tous. Par conséquent, ils seront bien obligés de me voir en ce moment. Mais, avant je n’ai pas été dans la liste de quiconque.

Parfois, je regarde et je demande avec insistance les gens qui mangent dans les restaurants qui me sont accessibles pour avoir quelque chose à manger. Souvent, on me profère des menaces, des injures pour me faire partir comme un animal. Je résiste. Je résiste avec la faim et la mort. L’humiliation et la déception m’affectent, me blessent certes, mais le plus important pour moi, c’est de combattre la mort de ce corps tant souffert.
Je suis appelé à devenir un jeune, un adulte demain. J’aurais bien voulu avoir une famille. La société me laisse grandir sans éducation, sans un métier.
Comment vivrai-je demain avec ma femme et mes enfants? Où habiterai je avec eux demain? Que mangeront-ils demain? Probablement, je me défendrai avec une arme. Je serai instrumentalisé. Je commettrai des actes crapuleux, je ferai pleurer les autres, je ferai souffrir les autres. On m’appellera bandit. On cherchera à m’assassiner, à me mettre en prison pour mes crimes. Pourtant, si j’ai été grandi dans une famille ou dans une structure donnée en ayant la possibilité d’aller à l’école, à l’église, d’avoir un métier, je n’aurais pas choisi de vivre au moyen des armes. Demain, la politique fera de moi un chef, un élément nuisible, une bête noire, un monstre. Ceux qui défendront leurs intérêts, qui voudront détruire, créer de l’instabilité, m’utiliseront.

Je peux être aussi trafiqué. Je ne suis pas épargné de la vente des organes. Je ne suis pas à l’abri. Je suis exposé à tout. Je suis un vulnérable. Je suis déshumanisé. Je perds ma dignité à travers les rues. Chacun, en fonction de son intérêt, pourrait décider de m’utiliser à sa manière. Je dois fumer, je dois manger, je joue le hasard. Donc, me voici comme je suis.
Qui veut sauver l’avenir? Qui veut éviter les pleurs et l’instabilité? Qui veut combattre l’injustice? Qui veut anticiper? Qui veut amoindrir les frustrations? Qui travaille pour un demain meilleur?

Le kidnapping, l’assassinat, le vol, le viol, l’instabilité sont souvent les conséquences d’une absence de socialisation ou de socialisation manquée de certaines catégories d’individu. Il faut miser sur chaque âme pour éviter le pire. Les enfants seront des adultes demain. Les prisons, si l’on pourrait, ne serait pas le meilleur choix. C’est la responsabilité de chacun de plaider en faveur des enfants à travers les rues du pays, surtout au niveau de l’aire métropolitaine de Port au Prince. On fait le déni. C’est comme si il n’y a aucun danger. Il y a urgence pour que les enfants quittent les rues. C’est mon cri d’alarme.

Haïti renaîtra, lorsque chaque haïtien, petit comme grand, sera vu comme une valeur, et traité avec dignité.
Saintony FANFAN, Citoyen

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