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La radiographie du projet de changement de Constitution de Jovenel Moïse à la lumière de la Constitution de 1987 : l’étranglement de la démocratie contemporaine

1.Selon le Lexique des termes juridiques, la Constitution se définit comme « une loi fondamentale qui fixe l’organisation et le fonctionnement d’un État ». Il en ressort que la Constitution consiste à déterminer les principes directeurs de la vie collective. Quant à la démocratie, elle s’analyse comme « la génitrice de l’État de droit, qui est apparu dans le monde juridique contemporain à partir du XIXe siècle sous l’impulsion de la doctrine allemande Rechtsstaat. (O. Jouanjean (dir.), Figures de l’État de droit. Le Rechtsstaat dans l’histoire intellectuelle et constitutionnelle de de l’Allemagne, Presses Universitaires de Strasbourg, 2001).

2. Dans l’acception politique, l’État de droit s’analyse comme un système institutionnel dans lequel la puissance publique est subordonnée au droit. Il institue essentiellement le principe de la hiérarchie des normes juridiques pour permettre aux citoyens de remettre en cause les actes arbitraires et illégaux adoptés par les autorités politiques. (H. Kelsen (1881-1973) a défini l’État de droit comme un « État dans lequel les normes juridiques sont hiérarchisées de telle sorte que sa puissance s’en trouve limitée »)

3. Ce concept a pénétré le régime politique haïtien depuis trente-quatre (34) ans au travers de l’adoption de la Constitution de 1987 à la suite de la chute dictatoriale de Duvalier en 1986. Cette notion incarne l’exclusion de la concentration du pouvoir dans les mains d’un seul organe. Dans ce contexte, le peuple délègue la souveraineté étatique à travers la répartition des pouvoirs entre le pouvoir législatif pour voter la loi, le pouvoir exécutif pour exécuter les lois et édicter des règlements et le pouvoir judiciaire pour rendre la justice. C’est cette conception participative au service public qui guidait les rédacteurs de la Constitution de 1987 afin de garantir la contrebalance des pouvoirs et l’État de droit, et d’éviter des abus d’autorité et de la mauvaise gouvernance publique. Les articles 59 à 60.2 de la Constitution de 1987 ont exprimé clairement cette préoccupation populaire.

4. Afin de faciliter la compréhension du lecteur, il importe de relever que ladite Constitution a été conçue dans une triple perspective. D’abord, elle a été conçue dans l’idée d’un fonctionnement normal des institutions républicaines à l’abri des tumultes politiques. Ensuite, les rédacteurs n’ont vraisemblablement pas nié notre culture politique traditionnelle et ont privilégié une politique de prudence pour anticiper d’éventuelle mauvaise foi des autorités politiques et des acteurs judicaires. Enfin, ils y ont inséré un outil de pression pour faire respecter cet ordonnancement juridique (le respect des règles dans la limite de la séparation des pouvoirs) en conférant au peuple le droit de la révolution populaire. (Art. 28 de la Constitution de 1987). Il est vrai que ce texte fondamental n’est pas dénué d’imperfections, mais il n’en demeure pas moins qu’il garantie des droits et libertés fondamentaux dans le sens de l’équité. Dénoncée abusivement par certains politiques pour être prétendument source d’instabilité du pays, Jovenel Moïse souhaite le changer pour le remplacer par une nouvelle Constitution qu’il prétend beaucoup plus protectrice.

5. À titre liminaire, il importe de préciser que l’article 284.3 de la Constitution de 1987 prévoit que « toute consultation populaire tendant à « modifier » la Constitution par « voie de référendum » est formellement interdite ». Plusieurs critiques s’élèvent contre cette disposition constitutionnelle. Les affirmés du changement de la Constitution, c’est-à-dire les partisans de Jovenel Moïse, soutiennent que le porteur du texte (Jovenel Moïse) n’entend pas modifier la Constitution de 1987 mais changer celle-ci. Il est regrettable que ces individus tiennent cet argument puisque sémantiquement le vocable « modifier » ne diffère pas du mot « changer ». D’ailleurs, modifier s’entend comme « changer quelque chose ». Partant, cet argument s’avère maladroit.

6. D’un autre côté, les refusés du nouveau texte interprètent cette disposition constitutionnelle comme le mécanisme d’amendement prévu aux articles 282 à 284.2 de ladite Constitution. Même si leur raisonnement se rapproche de l’esprit de l’article querellé, mais il faut surtout avoir à l’esprit qu’« amender consiste à corriger certaine chose ». Or, modifier va au-delà de la correction. Mais, en tout état de cause, la voie référendaire n’est pas autorisée pour « changer la Constitution », en application de l’article 284.3.

7. À cet égard, il convient de se demander si, même dans l’hypothèse où son mandat constitutionnel courait jusqu’au 7 février 2022, Jovenel Moïse serait habilité à changer la Constitution en vigueur. En outre, son nouveau texte reflète-t-il les règles de la démocratie contemporaine ? Pour apporter un éclairage à ces interrogations, les développements démontreront que l’avant-projet de la Constitution de Jovenel Moïse instaure un État présidentiel (I), préconise l’institutionnalisation de la corruption (II) et entend supprimer l’État de droit (III).

I – L’instauration d’un État présidentiel

8. L’on a précédemment démontré que la démocratie contemporaine emprunte à la théorie de Montesquieu le principe de la séparation des pouvoirs afin de prescrire le contrepoids à chaque pouvoir. C’est le sens même de l’article 60.1 de la Constitution de 1987 qui précise qu’« aucun d’eux ( des trois pouvoirs) ne peut sous aucun motif, déléguer ses attributions en tout ou en partie, ni sortir des limites qui lui sont fixées par la Constitution et par la loi ». En clair, le fonctionnement de la vie collective repose sur le strict respect de l’existence des trois pouvoirs.
Cependant, il en va autrement dans le nouveau texte fondamental, en ce que celui-ci concentre les prérogatives des trois pouvoirs entre les mains d’un seul homme : le président de la République. D’où l’instauration d’un État présidentiel qui se traduit par le contrôle direct du pouvoir exécutif, le contrôle indirect du pouvoir législatif et la mise sous coupe réglée du pouvoir judiciaire.

A – Contrôle direct du pouvoir exécutif

9. L’objectif même de la rupture à la tradition de la séparation entre la Présidence et le Gouvernement vise à conférer « la gestion de la chose publique » au président de la République. Cette conception présidentialiste de la gouvernance publique se manifeste par l’avènement du Vice-président au remplacement du Premier ministre (3). D’ailleurs, l’article 133, alinéa 2, de ce nouveau texte précise que « le président de la République est à la fois le chef de l’État. Il est également le chef de Gouvernement ». En vérité, l’article 138, alinéa 1er, de ce texte fait du Vice-président le simple assistant du président de la République en prévoyant que « le Vice-président n’a d’autres fonctions que celles que lui confère le président de la République ». Ce régime présidentialiste se trouve renforcer par l’article 158 qui ne fait des ministres et Secrétaires d’État des collaborateurs immédiats de ce dernier. Le Vice-président n’a aucun pouvoir sur ces derniers. D’ailleurs, ils sont nommés et révoqués à la discrétion du président de la République au regard de l’article 161 de ce texte. Il va sans dire que les Directeurs Généraux émanent directement de ce dernier. En conséquence, en vertu de ces articles susmentionnés, le président de la République est le Chef de l’État, doublé de la fonction du chef de Gouvernement. Le texte étend subtilement cette concentration dans le domaine législatif.

B – Contrôle indirect du Parlement

10. Il importe de souligner que le texte combine le régime politique français et celui états-unien.
D’une part, il souhaite rompre avec le bicaméralisme (Parlement avec deux branches) pour introduire de préférence le monocamérisme (Parlement avec une seule branche). En fait, l’article 99 emprunte au régime politique français la notion de l’Assemblée nationale en remplacement de la chambre des députés qui constitue le Parlement. Donc, le Sénat est supprimé. D’autre part, il emprunte au système états-unien la fonction de Vice-président.

11. À vrai dire, le texte ne mentionne pas explicitement le contrôle direct du président de la République sur le Parlement. Mais, il suffit d’un effort de bon sens pour comprendre que le pouvoir législatif déléguerait en réalité son pouvoir au seul président de la République. Ce raisonnement peut être tenu en raison de la culture politique du pays.
De fait, l’article 146 s’inscrit dans le prolongement de la Constitution française en matière d’ordonnance (sauf qu’il prévoit un Parlement monocaméral) par l’introduction de la délégation des prérogatives du pouvoir législatif directement au président de la République pour intervenir dans des domaines réservés au pouvoir législatif. C’est la pure transposition du régime politique français, sauf qu’en France, cette délégation se fait au bénéfice du Gouvernement et non au Chef de l’État français. Qui plus est, l’article 146 confère un pouvoir étendu au président de la République qu’il puisse se passer de l’Assemblée nationale (chambre des députés qui est le Parlement) pour intervenir sur des projets économiques, sociaux ou environnementaux. De même, l’article 148 permet au président de la République de substituer au Parlement pour intervenir dans tous les domaines d’intérêt général. À cet effet, il suffit qu’il obtienne le soutien de la majorité des députés. À ce titre, le président de la République serait habilité à adopter n’importe quelle loi sous forme d’ordonnance dans n’importe quel champ de compétence et sans le moindre contrôle. Quel pouvoir étendu ! Cet article paraît dangereux puisque, dans notre tradition, l’exécutif a toujours le contrôle du Parlement. D’autant que, la vie financière de cette Assemblée nationale est tributaire de l’exécutif dont le budget national dépend. Et l’on n’est pas sans savoir que la culture politique de député-agent de développent pour fidéliser sa population peut facilement mettre les députés dans une situation de dépendance financière par le chantage politique du président de la République. Dans ce contexte, le président soudoierait sa majorité pour imposer ses projets politiques personnels qui peuvent entraver la bonne gouvernance. Ainsi, ça peut être aussi une attraction des pactes de corruption. D’ailleurs, le Parlement ne dispose d’aucun pouvoir de contrôle sur les membres du Gouvernement. Les articles 116 à 132 de ce texte lui enlèvent tout pouvoir de contrôle sur les membres du Gouvernement , le président de la République étant seul habilité à recruter et révoquer tous les ministres et Secrétaires d’État. Car, en réalité, cette Assemblée nationale n’aurait aucun pouvoir de sanction dans le cadre de l’exercice de sa fonction sur ces ministres et Secrétaires d’État.
Dès lors, la combinaison de ces articles disparaît subtilement ce Parlement. C’est de cette manière que le président en aura le contrôle. Ce large pouvoir s’étend sur le pouvoir judiciaire.

C – La coupe réglée du pouvoir judiciaire

12. La justice judiciaire ne confine pas dans l’exercice de contrôle sur les comportements antisociaux quotidiens. Cela étant, la matérialisation de la justice peut s’exercer de plusieurs façons.
13. D’abord, les incivilités (la petite délinquance) et les infractions de gravité supérieure relèvent des juridictions de droit commun. Ensuite, les infractions des autorités publiques doivent être soumises à l’appréciation de la Haute Cour de Justice. Enfin, le contrôle de la justice en général relève de l’autorité de la Cour constitutionnelle, de sorte que celle-ci dispose d’un pouvoir étendu et incontrôlé sur toutes les dispositions législatives et légales.
14. Dans un exercice d’équilibre, la Constitution de 1987 édicte formellement la participation des trois pouvoirs dans ces trois modes de justice.
En effet, l’article 184.2 de celle-ci confère l’administration et le contrôle du pouvoir judiciaire au Conseil Supérieure du Pouvoir Judiciaire (CSPJ). La loi du 20 décembre 2007 créant le CSPJ (date de publication) complète cette disposition constitutionnelle et habilite cette institution à participer dans la nomination des juges, en tant que celle-ci soumet une liste de juges au pouvoir exécutif aux fins de nomination. Même si la survie de ces juges dépend du CSPJ en termes de prise de fonction ou de continuité de fonction, l’on doit concéder que l’exécutif dispose d’un droit de regard non-négligeable sur ces derniers en raison de son pouvoir discrétionnaire de les nommer.
Cette dépendance latente n’est pas supprimée dans le nouveau texte de Jovenel Moïse, en ce qu’il maintient le mode initial de nomination des juges (art. 168 à 187). Alors, il est gênant d’affirmer que le projet de cette nouvelle Constitution garantirait l’indépendance de la justice.
En outre, l’article 189 de ce nouveau texte garantie le bénéfice de la totalité des membres de la Cour constitutionnelle au président de la République. Il a été démontré précédemment que, de fait, l’Assemblée nationale est entièrement contrôlée par le Chef de l’État. Alors, il va sans dire que le président de cette Assemblée serait très complaisant avec le président de la république dans le choix de ses trois membres. Il en va de même pour le président de la Cour de cassation. Donc, en réalité, le Chef de l’État, au-delà de ses trois membres, contrôlerait les six autres membres de la Cour constitutionnelle.

15. La configuration ne change pas pour la Haute Cour de Justice qui est composé de neuf membres de la Cour constitutionnelle et de six autres de la Cour de cassation (art. 233). Concrètement, avec l’adoption d’un tel texte, l’on aurait un président de la République qui disposerait du contrôle de tous les textes relatifs aux pouvoirs publics puisque ceux-ci peuvent être portés à tout moment devant cette « Cour constitutionnelle présidentielle » et une Haute Cour de Justice qui serait sous la coupe réglée de ce Chef de l’État. Il en resterait quoi de la démocratie ? Ce nouveau texte va plus loin en institutionnalisant la corruption.

II – L’institutionnalisation de la corruption

16. L’objectivité impose à reconnaître que la Constitution de 1987 laisse l’opportunité de la réalisation de la corruption politique.
D’abord, la dépendance du choix du Premier ministre et du cabinet ministériel au Parlement facilite la corruption. En témoignent, plus récemment, les affaires de l’ex-Premier ministre Jean-Henry CEANT et Fritz William Michel. Ensuite, l’article 175 de l’actuelle Constitution favorise le chantage politique des Sénateurs influents sur le président de la république dans le cadre de la nomination des juges de la Cour de cassation. Ce texte laisse effectivement l’opportunité à des cas de corruption sur la nomination des juges de la Haute juridiction. Enfin, il en ainsi dans la nomination des Ambassadeurs et des Consuls Généraux. L’on doit concéder qu’il est intolérable que le président de la République soit si dominé par le Sénat.
17. En revanche, ces textes ne semblent pas avoir été adoptés pour servir d’outil de chantage au bénéfice des parlementaires, mais ils leur confèrent juste un pouvoir de contrôle sur la crédibilité de la justice et la transparence de la vie publique en ce qui concerne les membres de l’exécutif, Ambassadeurs et Consuls Généraux. Le manquement à l’exerce objectif de ces prérogatives dans la limite des pouvoirs de ces parlementaires emporte des poursuites pénales. C’est dans cet esprit de prudence que la Constitution de 1987 compense ces éventualités de corruption par le contrôle judiciaire (article 115).
18. Or, le nouveau texte passe d’éventuels cas de corruption que le texte de 1987 peut engendrer à l’institutionnalisation des pactes de corruption. Ce raisonnement s’explique par le mode de recrutement des ministres (art.161) et la suppression de contrôle préventif de la Cour des comptes (art.198 à 204) et de « l’autorité sanctionnatrice » du Parlement (Assemblée nationale) dans l’exercice de sa fonction de contrôle, étant entendu que la sanction de révocation appartient au seul président de la République.
La radiographie des articles insérés dans le projet de la nouvelle Constitutionnelle de Jovenel Moïse prouve la préoccupation de l’intérêt clanique au détriment de l’intérêt général. Cette affirmation va se démontrer dans la politique de suppression de l’État de droit qui est intégrée dans ce texte.

III – La suppression de l’État de droit

19. En principe, le droit est la marque de fabrique de la démocratie dans le but d’établir les rapports sociaux entre l’État et les citoyens.
En pratique, la démocratie s’exerce dans la vie collective par la notion d’État de droit. De ce fait, il importe de savoir ce qu’on entend par l’expression « État de droit » dans une société démocratique.
En effet, le Lexique des termes juridiques entend par l’État de droit comme « un État dont l’ensemble des autorités politiques et administratives, centrales et locales, agit en se conformant effectivement aux règles de droit en vigueur et dans lequel tous les individus bénéficient également de libertés publiques et de garanties procédurales et juridictionnelles » (S. Guinchard et T. Debard, Lexique des termes juridiques, Dall, 28e éd., 2020-2021). Le dictionnaire juridique le conçoit comme « un État soumis au droit et dont toute personne doit respecter les règles ». (C. Puigelier, Dictionnaire juridique, éd., Larcier, 2015.

20. Selon Hans Kelsen, l’État de droit se caractérise par le principe d’égalité républicaine devant les normes juridiques et l’indépendance des juridictions. Sans le principe égalitaire dans l’organisation de la société, l’on est dans l’anarchie. C’est dans ce sens que le préambule de la Charte des Nations Unies le mentionne implicitement dans les buts poursuivis par l’Organisation. Dans ce cadre, la Charte se réfère à la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, qui précise « qu’il est essentiel que les droits de l’homme soient protégés par un régime de droit pour que l’homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l’oppression ». Il en résulte que, dans une société démocratique, tous les citoyens doivent se trouver sur le même pied d’égalité dans l’observations des règles édictées dont le manquement doit emporter la sanction.
La Constitution de 1987 s’inspire de ce principe pour établir une justice sanctionnatrice aux délinquants de droit commun et ceux politiques, alors que le nouveau texte de changement constitutionnel entend établir l’impunité dans un État d’exception à vie et une dictature parcellaire.

A –La suivie de l’impunité dans un État d’exception à vie

21. La justice implique le « droit au juge » qui doit être reconnu à tous les citoyens dans une société démocratique. Cela dit, l’État doit instaurer des mécanismes de saisine du juge pour exiger le respect de l’intérêt général. À cet égard, les infractions commises par les autorités politiques doivent pouvoir être portées à la connaissance de la justice. Ce raisonnement s’aligne sur le principe d’équité. La Constitution de 1987 s’inscrit dans cette démarche en permettant la répression des autorités politiques pour des infractions commises dans leurs fonctions (art.186). Dans ce cadre, le président de la République, le Premier ministre, les ministres, ainsi que les Secrétaires d’État peuvent être poursuivis pour des infractions commises dans leurs fonctions. Ainsi, il est institué la Haute Cour de Justice pour statuer sur les charges retenues à leur encontre (art. 189). Il en est de même pour les parlementaires dont la poursuite et le jugement sont autorisés pour des infractions commises en dehors de flagrant délit (art.115). C’est dire qu’un parlementaire peut être normalement poursuivi et jugé sur le fondement de l’article 115 de la Constitution de 1987 en dehors des cas de flagrant délit. Mais, en pareil cas, il ne peut pas faire l’objet de coercition avant la fin de son mandat (arrestation, détention). À la fin de son mandat, la condamnation pénale peut être exécutée, ce qui impliquera l’arrestation et la détention de l’intéressé. Pour cette raison, c’est à tort que les juges recourent régulièrement à la demande de « levée d’immunité » des parlementaires impliqués dans des infractions. Cette immunité n’est nécessaire que pour l’arrestation ou la détention de ce dernier en cas de non-flagrance mais non pour l’exercice de l’action répressive.
Or, le texte de Jovenel Moïse confère le bénéfice de l’immunité au président de la République et l’ensemble de son Gouvernement (art. 139, 167), ainsi que les parlementaires (art. 107) même à la fin de leur mandat.

22. En conséquence, ce projet de Constitution sélectionne la catégorie d’individus qui sont justiciables, et garantie au contraire la préservation des réponses pénales au bénéfice des « autorités politiques ». Dans ce contexte, il n’est pas hésitant d’affirmer que ce projet de changement de Constitution incarne la dictature par l’introduction de l’institutionnalisation de la corruption et entend légitimer des crimes politiques. Il apparaît que les rédacteurs de ce texte prévoient l’émergence accru d’un tel projet par une gouvernance à vie parcellaire.

B – Une gouvernance à vie parcellaire

23. Les analyses précédentes montrent que la préoccupation de ce nouveau texte de changement constitutionnel ne vise pas l’intérêt général. La motivation de son porteur est d’ordre politique dans le but d’assurer une sécurité juridique au travers de l’institutionnalisation d’une « immunité éternelle » pour s’assurer de sa tranquillité concernant d’éventuels faits dont il se serait reproché. Pour cette raison, il semble être prudent et souhaite s’assurer du contrôle du pouvoir pour de très longues années. L’entier contrôle sur la Cour constitutionnelle, la Haute Cour de Justice et le Conseil électoral permanent (art. 208) en est l’illustration.
Ces développements révèlent la dangerosité du nouveau projet de la Constitution de Jovenel Moïse dont la réprobation paraît urgente. Dans ce contexte, il semble être important que les élites du pays y portent une attention particulière afin d’en faciliter la compréhension à la population. C’est un programme « broyeur de vies et de destins » dont la planification ne semble pas être un hasard.

Guerby BLAISE
Avocat et Doctorant
Droit Droit pénal et Procédure pénale
Centre de droit pénal et de Criminologie
École doctorale de Paris Nanterre

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